Imaginez un instrument de musique si mystérieux qu’on n’en trouve qu’à peine une poignée, perdu entre les vitrines de musées, les collections privées, et les souvenirs embués d’anecdotes de musiciens excentriques. Voilà l’univers fascinant – et franchement un peu fou – des instruments de musique les plus rares au monde. Certains réveillent des fantasmes de chasse aux trésors chez les collectionneurs, d’autres sont entourés de mythes tellement persistants qu’on se demande s’ils ont vraiment existé. Mais il en existe bien, et leur histoire mélange la quête, la découverte et parfois même la déception.
Il y a cette question qui revient sans cesse chez les passionnés : quel est l’instrument de musique le plus rare du monde ? L’imagination galope, on pense à des harpes magiques ou des pianos incrustés de pierres précieuses. En réalité, ce ne sont ni les diamants ni l’or qui font la rareté d’un instrument, c’est sa singularité, son histoire, l’impossibilité de le reproduire. Parmi les perles les plus célèbres, le glass armonica fait figure de mystère. Inventé en 1761 par Benjamin Franklin – oui, celui des billets de cent dollars ! – cet instrument ressemble à une série de bols en verre qui tournent sur un axe : le musicien effleure les bords pour en tirer des sons d’une pureté troublante. À son apogée, Mozart et Beethoven ont composé pour lui, mais l’instrument s’est retrouvé quasi oublié. Certains racontaient même que ses sons rendaient fous ! Aujourd’hui, il ne reste qu’une dizaine de glass armonicas d’époque dans le monde, et bien peu de musiciens savent en jouer correctement.
Un autre exemple qui fait froncer les sourcils, c’est le violon Stradivarius Messie. Certes, les violons Stradivarius sont déjà rares, environ 650 encore connus sur les milliers fabriqués. Mais le Messie, achevé en 1716, n’a quasiment jamais été joué – il attend toujours son moment depuis trois siècles. Il est aujourd’hui exposé au Ashmolean Museum d’Oxford. Pour le commun des mortels, il est inaccessible, soigneusement protégé des regards et des mains… sauf pour une poignée d’experts triés sur le volet. Voilà un objet plus fantasmé que vraiment entendu.
Il ne faut pas oublier le piano hydraulique ou hydraulis, ancêtre antique de l’orgue. Utilisant l’eau pour maintenir la pression de l’air dans ses tuyaux, son existence remonte à l’Empire romain, et aucune reconstitution n’a jamais vraiment permis de retrouver toute la subtilité de ses sonorités. Les instruments de la Renaissance, comme la nyckelharpa suédoise dans sa version médiévale ou certaines flûtes traversières en ivoire, tiennent aussi la corde côté rareté. Ce qui rend ces instruments si précieux, c’est aussi leur difficulté à traverser les siècles. Beaucoup ont été détruits, ou leur mode de fabrication s’est perdu, victimes de l’évolution ou de modes passagères.
Instrument | Période | Nombre estimé d'exemplaires | Particularité |
---|---|---|---|
Glass Armonica | XVIIIe siècle | < 10 (modèles d’époque) | Sons éthérés, réputation maudite |
Stradivarius Messie | 1716 | Unique | N’a (presque) jamais été joué |
Hydraulis | Ier siècle | 0 (originaux subsistants) | Orgues antiques à eau |
Harpes égyptiennes | -3000 à 0 | Quelques fragments | Formes et jeux aujourd’hui disparus |
Paeanophone | XXe siècle | 2-3 | Commande vocale pour orgue |
Enfin, pour ceux qui aiment les histoires de collections cachées, il existe l’Octobasse. Ce monstre à cordes, trois fois plus grand qu’une contrebasse, a été inventé par Jean-Baptiste Vuillaume en 1850. Il n’en reste que trois confirmées dans le monde, toutes conservées religieusement dans des musées – à Paris, Florence et au Canada. Impossible de jouer de l’octobasse sans l’aide d’une échelle ! Rien que d’imaginer la scène, on comprend pourquoi cet instrument accumule les histoires et les photos volées par des admirateurs ébahis.
La vraie rareté ne vient pas seulement de l’ancienneté ou de l’excentricité. Tout commence par des savoir-faire très précis, voire carrément inimitables. Prenons l’exemple du Stradivarius. Il existe toute une science autour de la fabrication de ces violons mythiques. On a analysé le vernis, le bois — du sapin, bien sûr, mais aussi du bois récolté pendant ce qu’on a appelé le « Petit âge glaciaire », où le froid rendait les fibres incroyablement denses. Même avec tous ces détails, aucun luthier d’aujourd’hui n’a réussi à copier exactement ce son qui fait battre le cœur des violonistes et pleurer les mélomanes. C’est un peu comme une recette disparue dont on aurait gardé les ingrédients mais oublié la magie du cuisinier originel.
L’histoire de la musique est jonchée d’exemples de chefs-d'œuvre devenus rares à cause de guerres, d’incendies ou de simples changements de mode. Il n’y a pas si longtemps, les musiques médiévales utilisaient des instruments comme la vielle à roue ou la cornemuse du Centre. Aujourd’hui, ce sont des curiosités pour festival de niche. Ou encore, le piano transpositeur d’Irving Berlin, qui lui permettait de jouer toujours en fa dièse quel que soit le morceau, fut démantelé après la mort de son propriétaire. Personne n’a tenté de le reconstruire tant le dispositif était complexe et surtout adapté à une personne précise.
La fabrication d’un instrument rare coûte souvent une fortune, requiert des matériaux aujourd’hui introuvables ou interdits à cause des conventions internationales (ivoire, ébène très ancien, certains peaux d’animaux). Le facteur humain joue aussi : parfois, un seul artisan, génial mais isolé, gardait son secret, et en emportant son savoir dans la tombe, il a condamné ses œuvres à l’oubli. Certains ateliers de Vienne, de Crémone ou de Mirecourt sont encore hantés par ce genre de fantôme.
Il ne faut pas oublier non plus les instruments uniques fabriqués pour un musicien donné. Le piano Cristal Baschet, inventé dans les années 1950, en fait partie : seuls quelques exemplaires à travers le monde, joués uniquement par les héritiers ou amis des frères Baschet, et parfois prêtés pour des concerts exceptionnels. Même chose pour les claviers de lutheries africaines ou asiatiques, dont les secrets de fabrication ne s’enseignent qu’à quelques membres d’un clan.
Mais on trouve aussi de la rareté dans l’éphémère. Des instruments conçus pour un seul concert, détruits ou démontés juste après. Par exemple, le « piano de feu » utilisé lors d’un spectacle pyrotechnique à Avignon en 2014, sur lequel la pianiste jouait jusqu’à ce que l’instrument prenne littéralement feu sous ses mains. Lui non plus n’existe plus que dans la mémoire de ses spectateurs.
Chercher l’instrument de musique le plus rare du monde, c’est comme essayer d’attraper une étoile filante. Alors, comment y voir clair entre les légendes urbaines et les « vraies » raretés ? D’abord, il faut s’attendre à trouver plus d’histoires que d’objets. Par exemple, des rumeurs courent à propos d’un instrument tibétain appelé « shang », censé n’exister qu’en deux exemplaires – souvent, la réalité est moins spectaculaire que l’imaginaire collectif, mais ça n’empêche pas les collectionneurs d’espérer tomber dessus lors d’un voyage improbable.
Si vous rêvez de toucher, un jour, un instrument véritablement rare, soyez prêt·e à y mettre le prix, en temps et en énergie, plutôt qu’en argent. Même une somme astronomique ne suffit pas toujours : faut-il rappeler que certains Stradivarius n’ont jamais changé de main en deux cents ans, hérité par des familles ou des institutions sans jamais approcher la scène d’une vente aux enchères ? Les musées, eux aussi, alignent des conditions draconiennes : dépôts, expositions sous verre, manipulations avec gants spéciaux (voire, refus catégorique de toute manipulation).
Pour s’y retrouver, il existe quelques astuces :
D’un point de vue purement émotionnel, la vraie magie d’un instrument rare, c’est son pouvoir de rassembler les histoires, les recherches insensées et parfois les obsessions. Plus qu’un simple objet, il devient un symbole : la trace d’un rêve partagé entre artisans, musiciens et rêveurs – tous réunis autour de cette question lancinante : et si je découvrais, un jour, l’instrument invisible, celui qui murmure encore sous la poussière d’un grenier ou attend, patiemment, derrière la vitre d’un musée silencieux ?
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